Zoom arrière

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Zoom arrière

Au cinéma, y’a des travellings, y’a des gros plans, des plans larges etc. Depuis quelques temps, par rapport à tout ce qui se passe, j’ai envie de faire un zoom arrière, très long, très lent ! Entre les annulations successives, les contradictions évidentes, les ordres et les contre-ordres qui nous viennent de la cuisse de Jupiter, entre le phagocytage des dossiers à remplir, entre les désirs et la réalité très crue qui nous envahit, entre l’élan collectif et la solitude imposée par les normes, entre la réalité de ce qu’ont les gens dans la tête et ce qu’ils arrivent à exprimer, entre l’auto-censure patente et la censure tout court, j’ai parfois l’envie de rendre mon tablier avant l’heure qui, vous le savez sans doute, a été fixé, en ce qui me concerne comme directeur de la Nef, à janvier 2021. Bien sûr, tout va bien se passer, et notre capacité d’adaptation est insondable par rapport aux limites imposées. Même souvent le roseau plie, certes, il est parfois au bord de se rompre. Que soient ici chaleureusement remerciés tous les protagonistes de ce challenge qui va se clôturer le 12 novembre sous la forme d’un jury qui rendra ses comptes le 12 au soir : l’équipe de la Nef bien sûr mais aussi tous les membres du conseil d’administration avec leurs personnalités qualifiées et les partenaires institutionnels. Chacun ici défend son carré de liberté de son point de vue, chacun a une part de responsabilité dans ce jeu de dupes qui n’en n’est pas un. Tous les jours, on réalise ce que le terme démocratie veut dire. Affirmer son point de vue sans enfreindre la pensée de l’autre est un jeu difficile, souvent ingrat mais tellement essentiel. J’ai tout d’abord voulu la Nef comme un lieu fait pour les artistes, réalisé par des artistes, où la création est permanente, un laboratoire ouvert au public, spécialisé dans la recherche et qui ne perd pas le point de vue de son ancrage social. On a d’énormes progrès à faire afin d’emmener le public dans des visions à long terme d’une création à venir, lui laisser entrevoir la perspective d’un travail encore à faire est un long apprentissage autant pour les artistes que pour le public. A la fin de la résidence, certains lisent un texte, d’autres le mettent déjà en scène, d’autres enfin le montrent juste avant le parachèvement final mais “tout bouge” comme dirait le maître Jacques Lecoq. Le plus important étant d’aller aux frontières du possible pour marquer chaque étape de la création. Seule compte la création, son inventivité, son originalité et sa façon de prendre date. C’est comme ça que j’envisage ma dernière création à la Nef à la rentrée 2021. Ça s’appellera « Qui manipule qui ? » avec, ça s’est sûr, Pascal Blaison alias Rosy Palmer et Anne Gouraud, la metteuse en monde musical de ce charivari qui va interroger le sens de la manipulation car j’en suis persuadé les objets ont une âme, il suffit de leur donner vie, de les animer au sens premier du terme. C’est un gros chantier en cours par rapport à mes propres expériences de marionnettiste. Je ne peux pas en dire plus pour le moment. Venez voir ou revoir « La Pluie » de Daniel Keene avec le quartette magique de Gabriel Levasseur à l’accordéon, Muriel Habrard à la vidéo, Phillipe Sazerat à la lumière et surtout Marie-Pascale Grenier à l’interprétation. Ça sera mon premier au revoir !
Jean-Louis Heckel, septembre 2020