De la création, de la création : rien que de la création.

De la création, de la création : rien que de la création.

Comme un grand troupeau affolé, tout le monde revient au bercail, bronzé, détendu, et moi je ne suis pas parti. Pour la première fois depuis très longtemps, je suis resté à Pantin au mois d’août, pour essayer de distiller l’effervescence et l’activisme du passé.
Fin juillet, après un passage un peu obligé au festival d’Avignon, je me suis rendu en Alsace pour assister à un mariage folklorique qui a lieu tous les ans dans un charmant petit village près de chez moi. J’ai adoré le contraste entre le brassage avignonnais et l’épure de la tradition alsacienne. Au milieu des flonflons et de la bonne tradition culinaire, pas une seule peau n’était noire ou métissée. Et ils en sont très fiers. Ils sont riches, conservateurs, et pour eux l’avenir est tranquille, rien ne risque de troubler leur sérénité. Moi aussi je me sens là-bas un imbécile heureux né quelque part, comme dirait Brassens. Il ne faut pas aller bien loin pour comprendre, à l’image de ce petit village, que la France rurale reste profondément et avant tout attachée à ses traditions. Après cela, il faut plusieurs fois reprendre la ligne de métro numéro 5 vers Bobigny pour faire un petit retour sur terre.

Comme beaucoup d’entre vous, je me sens désarmé politiquement et ne sais plus par quel bout prendre les choses, si ce n’est que je sais qu’il n’y a plus de bout. Là, je vous écris sous le coup de la démission de Nicolas Hulot. Le scandale médiatique qu’il cause me hérisse le poil, bien plus que l’intégrité de cet homme, qui par ailleurs me pose question. En ce qui me concerne, la main-mise des grands lobbies sur Facebook et les réseaux sociaux m’inquiète beaucoup plus que les petits atermoiements franco-français.
Nos croyances idéologiques sont tombées avec la chute du mur de Berlin. La seule alternative politique étant la décroissance et une nouvelle démocratie participative, nous sommes loin du compte. Et pourtant il faut continuer à se battre politiquement et poétiquement. Alors continuons à aller joyeusement dans le mur, ou bien, comme le disait Gébé dans L’An 01, on arrête tout, on réfléchit et c’est pas triste.

Beaucoup d’entre vous cet été on été très étonnés de me voir plié en deux, ayant du mal à me déplacer, le visage souvent un peu crispé. Merci à tout ceux qui, au passage, m’ont donné un petit coup de main. J’ai du mal à étirer ma colonne vertébrale, à me tenir et marcher droit, mais rassurez-vous, j’ai appris à faire les choses de façon beaucoup plus lente, à prévoir et à prendre mon mal en patience : plus que jamais, la vie et la lutte continuent. Certes, il faut déléguer, certes je vais prendre plus le temps de voir les gens que j’aime (notamment mes deux petites filles puisque je suis grand-père à nouveau, depuis juillet), mais il n’est pas question d’être en retraite. Après tout, toute ma vie, j’ai choisi ce que j’avais envie et besoin de faire. Il est hors de question d’abandonner le navire en pleine mer. Envolée lyrique…

Après une année de turbulences, la Nef retrouve une administratrice à plein temps, ainsi que notre chargée de projet et des relations publiques qui reprend son poste après avoir fait un jolie bébé. Marie et Chloé s’en vont. Elles ont assuré l’intérim avec brio, malgré leur jeune âge et leur peu d’expérience.
La saison qui s’annonce est riche, peut-être même trop riche, de sens et de formes nouvelles.
Dans notre petit bateau de la Nef, je sens et je sais que nous sommes au bon endroit. Souples et opérationnels, nous sommes en mesure de remonter les courants des autoroutes maritimes.

L’été 18 sera marqué pour moi par le départ précipité de deux êtres chers. Catherine Hospitel, plasticienne et scénographe, collaboratrice de Serge Delaubier depuis une vingtaine d’années, et participante active de notre dernière création reprise en janvier, Le doux, le caché et le ravissement, nous a fait une sortie de route imprévue en juillet. Fin août, Margareta Nigulescu, créatrice de l’institut international de marionnette et de l’école de l’ESNAM à Charleville-Mezières, nous a quitté d’une façon plus prévisible, à l’âge de 92 ans. Ces deux figures tutélaires qui avaient toujours privilégié le choix artistique dans leur carrière vont nous manquer. Tout le long de la saison, nous leur dédierons les créations en devenir, car après tout, si elles existent aujourd’hui, c’est grâce à leur regard bienveillant et généreux.
De la création, de la création : rien que de la création.

Et pour finir cet édito sur une note plus joyeuse, je tenais à vous annoncer que désormais, à la Nef, nous avons un cuisinier, Pierre-Etienne, qui va nous sustenter et nous régaler pour toujours plus de convivialité et de rencontres, qu’on se le dise.
Venez nombreux déguster aussi bien les bons plats que les bonnes créations.

Jean-Louis Heckel