Les Etats Généreux

Les Etats Généreux

L’Entrée des artistes

En général, celle-ci est discrète, à l’arrière du théâtre, dans une rue adjacente, un peu secrète, un peu fantasmatique. On passe par la petite porte pour se retrouver dans les coulisses, dans les loges, et même dans les grandes maisons. Ces entrées sont toujours privées et personnelles. C’est bien par là que nous sommes entrés pendant les trois jours des États Généreux.


D’abord je souhaite remercier ici chaleureusement les braves et courageux petits soldats : je parle des compagnies présentes. Pour nous, ce débat était urgent et nécessaire, vital même ! Trois jours pour suspendre le temps, et le prendre.
Que faire pour dépasser et transcender nos soucis du moment, le but étant de ne pas refaire une nouvelle cour de plaintes et de récriminations ?


Revenons toujours à la place de l’artiste, pris dans les affres des dossiers, et de tout le travail administratif qu’il y a autour. Dans ce système néolibéral triomphant, comment faire pour ne pas se transformer en petite Start Up ?
Avoir les moyens de faire de beaux tableaux Excel, ou savoir équilibrer un budget semble être une priorité pour les tutelles. Aucune école ne nous apprend cela. On improvise, on apprend sur le tas, et du coup, sans aucun recul, on formate nos créations, on les met au diapason des musiques ambiantes. Pas de fausses notes, pas de dissonances !
Une des réponses à la Nef est de ne plus programmer à l’année mais de semestre en semestre, pour se rapprocher au maximum de l’élan premier : le désir de la création, et éviter que ce désir ne s’émousse dans des temporalités distendues.

Dans ce même état d’esprit, il faut réussir à faire entendre qu’une reprise de spectacle est aussi importante qu’une création. On dit que la durée de vie moyenne d’une création est de 4 à 8 représentations, c’est beaucoup trop peu. Il nous faut faire entendre aux tutelles et aux lieux de diffusion cette nécessité de faire maturer les créations, et de nous donner les moyens de les montrer au public, au lieu de produire des créations kleenex ! Il est important aussi que les tutelles puissent trouver et prendre le temps de faire des retours détaillés sur les raisons de leurs refus, lors des commissions d’attribution de subventions.


Quel est ton glyphosate ? Telle est la question qu’on a pu se poser en faisant un parallèle direct entre le monde paysan et celui de la culture. Que veut dire créer en circuit court ? Une AMAP culturelle ? Y a t-il des créateurs qui s’inscrivent dans la philosophie de la décroissance ? Dans le monde paysan, c’est le règne absolu de la monoculture. Comment peut on créer dans la biodiversité ? Que signifie de ne pas utiliser le glyphosate culturel ? Nous avons plein de pesticides. Le premier étant en ce moment l’auto censure, le politiquement correct. Je m’applique cela à moi aussi. Comment faire pour sortir de ce cercle vertueux ? Comment faire pour être indépendant et libre ?
Arrêtons de faire l’autruche ! La tête dans le sable, le nez dans le guidon, tout le monde s’arc-boute pour arriver devant un point qui tout le temps se déplace, et paraît de plus en plus inaccessible, un vrai cauchemar.


Dans la foulée des États généreux, il y a eu le Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes où tous les marionnettistes ont tourné en rond autour de la place Ducale comme à la Mecque ! Autant la programmation du In était pleine et cohérente, autant j’étais un peu scandalisé par les conditions du Off. Une foi de plus ce sont les petites compagnies qui portent et paient un lourd tribut au succès de ce festival. C’est bien elles qui se font manger la laine sur le dos et j’aimerais beaucoup connaître les bilans financiers de ces lieux improbables qui travaillent dans des conditions très précaires et mêmes dangereuses. Qui va le dire ? Et comment faire pour enrayer cette machine infernale de la productivité et du mercantilisme ?
Puisqu’il est question d’annualiser le festival, nous n’allons pas en faire plus avec moins mais essayons de reprendre nos créations, pensées localement. Cela veut dire s’enraciner suffisamment pour pouvoir raconter une universalité et la transversalité du propos.


A la Nef, j’ai conscience que les lieux comme cette petite manufacture d’utopies sont ou peuvent être au centre du débat. Que ceux qui l’ont ouvert avec nous lors de ces États Généreux soient ici chaleureusement remerciés et conviés à poursuivre le dialogue pour arriver à formuler notre mal être mais aussi le bonheur d’être en relation permanente avec la création.


On va la réaliser cette charte ?
Dans ce futur manifeste, on pourrait y inscrire la nécessité de ne tourner qu’avec deux services de montage maximum et demander la présence impérieuse (même pour un théâtre visuel) d’un dramaturge. Revenir aussi à l’interprétation et à la constitution d’un répertoire de formes imposées comme le numéro des Autruches ou le Pierrot de Philippe Genty, Les Mains de Yves Joly pour constituer une mémoire des créations emblématiques qui ont jalonné l’histoire de la marionnette contemporaine. On attend vos suggestions !
On pourrait également proposer une concertation une fois par semestre car le principal acquis des États Généreux a été une prise de parole, une qualité d’écoute et un regain d’intérêt pour le sens collectif.


Retrouvons- nous le 19 décembre pour poursuivre les discussions cette fois-ci autour du thème du compagnonnage plus précisément. D’autres RDV seront proposés dans la saison également.


A vos plumes !

Jean-Louis Heckel

LES ETATS GENEREUX
10-11-12 septembre 2019
La Nef - Manufacture d’utopies
Présents:
Catherine Pollet / Chargée de projet cirque, marionnette et théâtre d’objet,
arts de la rue, dynamiques territoriales, Département de la Seine Saint-Denis
Agnès Sighicelli / Compagnie Fleming Welt
Pascale Goubert
Miguel Angel et Nathalie Sevilla / Compagnie a Force de Rêver
Bruno Michellod et Stéphane Bientz / Compagnie La Barbe à Maman
Elisabetta Giambartolomei / Argano Theatro
Aurélia Labayle et Aurélie Vilette / Compagnie Les Crayons
Rébecca Joly / Compagnie Fouxfeurieux
Guillaume Lecamus / Compagnie Morbus Théâtre
Anaïs Mourot / Théâtre aux Mains Nues
Claire Duchez et Alexandra Vuillet / Themaa
Jonathan Heckel / Compagnie Avide
Lydie Marsan / Compagnie Ixtlan
Caroline Weiss Diesbach