Edito de janvier 21

Edito de janvier 21

Il est né le divin enfant, jouez hautbois, résonnez musettes.
Depuis le 15 décembre, un peu en avance, on a connu le nom de mon prochain successeur à la Nef. Il est jeune et beau, brillant et je suis convaincu qu’il va faire du bon boulot. Mon souci, c’est plutôt le cadre des décisions de base qui ont été prises. Grâce au dynamisme du CA, de sa présidente, les choses ont eu lieu dans les clous. Bien sûr, il est rassurant de savoir que les tutelles vont s’engager à long terme dans les projets de pérennisation de la Nef.
Si j’avais su il y a 15 ans qu’un jour je serai dépossédé de la création de ce lieu… Autant je peux comprendre qu’un directeur de CDN ou de scène nationale soit nommé dans la non-ingérence totale, autant j’ai trouvé assez violent le fait de n’être même pas consulté sur mon avis personnel quant au choix de la future direction car, après tout, lorsque j’avais découvert le lieu en plein mois d’août, il était dans un piteux état. Le temps des aventuriers du début aurait bien aimé un cadre un peu plus stable, un peu plus confortable. Je nous vois encore répéter avec les doudounes et les gants. Personne à ce moment-là ne parlait de lieu compagnie-compagnonnage. Tout était à faire et à inventer. En passant le relais de la Nef, j’aurai bien aimé continuer dans l’esprit des pionniers, notamment de la compagnie L’Hiver nu qui est maintenant en Lozère.
Je nous vois encore regarder la rue vide un dimanche après-midi à 15h pour notre toute première représentation publique. Naïvement, on avait pensé qu’en mettant quelques tracts dans les boîtes-aux-lettres du quartier, ça suffirait pour attirer un public. A cette époque-là, la création d’un lieu avec un atelier adjacent me paraissait urgente et indispensable. Je ne veux pas en parler avec nostalgie mais tout au début on avançait dans le noir, on marchait à tâtons, pour trouver la bonne formulation du contenu de la Manufacture d’utopies. Et là, on n’était vraiment pas dans les clous. On a appris quelques années plus tard ce qu’était la mise aux normes d’un lieu. C’est cet esprit-là que j’aimerai avant tout transmettre. C’est un exercice de funambule d’être à la fois dans les clous et en même temps hors-normes parce que ça fait très longtemps que c’est la façon de marcher qui est importante et non pas l’objectif. Aujourd’hui je me sens décalé par rapport aux normes imposées car en effet, en toutes circonstances, c’est le cadre qui prévaut et non plus le contenu.

Dans la période trouble qu’on traverse, il est extrêmement difficile de se sentir libre. L’auto-censure est partout et au théâtre, la pensée ne peut pas être binaire. Quand Simon Delatre était à l’école, il faisait des choix audacieux et il travaillait tout le temps. La Nef, avec ses sorties de résidence, son cabaret, des formations encadrées par des gens de qualité qui étaient toujours actifs professionnellement a toujours privilégié l’artistique et pratique la recherche en permanence c’est pourquoi ma transmission ce faisait dans le même état d’esprit. Avoir un collectif comme direction a été pour moi une grande leçon d’humilité. Une direction collégiale de trois identités de compagnies très différentes les unes des autres perpétuait l’esprit de la Manufacture d’utopie. On est de toutes façons condamné à inventer de nouvelles façons de travailler. J’ai encore la naïveté de croire que la démocratie la plus directe possible est notre seule planche de salut et, du quartier de l’Eglise de Pantin au reste du monde, est enfin digne d’être politique.

Merci encore une fois aux membres du jury et du conseil d’administration d’avoir assisté à cette prise de relais pas facile. La Nef reste entre les mains d’un véritable artiste. MERDE à toi Simon ! Du public aux professionnel(le)s, sachez que je suis disponible à partir de mi-février.

Jean-Louis Heckel